Voyage vers ma petite-fille intérieure terrorisée.
Je m’apaise, je ferme les yeux et laisse mon esprit habiter l’espace de mon corps, tranquille.
Puis la voix sereine de Claudine m’invite à te retrouver : tu as juste trois ans, tu es descendue, seule, de la voiture ; il te faut vite expulser ce flot nauséeux qui s’agite de ton ventre à ta gorge, que tu retiens à fleur de bouche depuis nombre de virages.
Tu reviens vers Papa et Maman… Des bras énergiques te hissent sur le parapet de pierres : devant, Maman reste immobile, figée sur la place, triste, et, derrière… tu ne sais pas, mais tu sens le vide : Quelle position adopter ? Que penser ? Que veut-il de toi ? Il s’énerve, s’agite sur ce mur, saute et crie… Tu dois savoir que faire, mais seul te répond ce sentiment d’étrangeté ! Une paralysie s’insinue déjà dans tes jambes, tes mains ; ton crâne cogne dans ta tête, mais tu ne comprends pas ce qu’il attend… Tu cries « Maman », mais pas un son ne semble vouloir sortir de ce corps qui te devient étranger et qui se pétrifie tout en se liquéfiant. Et Maman ne fait rien… Tu pourrais te laisser tomber pour que tout s’arrête…
Non, tu ne tomberas pas ! Tu as décidé de tenir : tu concentres une folle énergie pour ne plus voir, ne plus entendre, ne plus sentir, devenir une de ces pierres pour faire corps avec la matière solide ; juste, être là, indestructible… Personne ne t’aidera.
Claudine me demande d’aider cette petite fille : « Qu’est-ce que tu peux faire pour elle ? Qu’est-ce que tu peux lui dire ? » Je ne peux que t’admirer ! Contempler la force, le désir de vie qui émanent de ton petit corps pétrifié… Tu as tellement plus de puissance que moi ! Je te lance quelques arguments explicatifs dont je perçois aussitôt l’inanité. Me voilà simplement intimidée devant le puissant rayonnement de ta fragilité. Claudine me sollicite encore… Oserais-je t’offrir mes bras, mon cœur ?
Oui, c’est ce que tu n’as pas eu : la chaleur d’une affection douce, une enveloppe de tendresse physique ; je te tends mes mains, je te serre doucement et fermement en mon sein, je te prends en moi et je te berce, amoureusement. Tu te loves en moi.
La fluidité s’installe peu à peu dans mon cœur, mes épaules puis mon plexus ; une sensation de plénitude envahit mon ventre. Alors s’allume une lumière puissante, mais non aveuglante, une flamme éclairante qui réchauffe sans brûler.
Puis, tu me parles d’une voix déterminée : « Je te demande une seule chose : ne me laisse jamais seule ; je m’occupe du reste ». Enfin, tu cours en me tirant par la main et tu te retournes en riant… débordante de dynamisme.
Je t’aime ; je ne te lâcherai jamais. Tu as décidé qu’il était dangereux de faire confiance, mais, aujourd’hui, tu peux me faire confiance.